L’effroyable accident de Romain Grosjean, au départ du Grand Prix de Barhein, n’a pas besoin d’être décrit de nouveau. Si vous êtes ici sur cette page, il y a de très fortes chances que vous ayiez déjà vu l’accident. Si ce n’est pas le cas, allez le voir, je vous attends!
Évidemment, cet impact a fait réfléchir tous les amateurs de course sur les mesures de sécurité ou d’intervention qui auraient pu encore mieux protéger le pilote. Et c’est tout à fait légitime dans les circonstances. Cependant, force est d’admettre que la façon dont cet accident s’est déroulé et l’état dans lequel Romain Grosjean est sorti de la carcasse de sa voiture tiennent du miracle.
Ce «miracle» a cependant été bâti sur les fondations qui ont été mises en place depuis les débuts de la F1 en 1950, alors que des mesures de sécurité ont été tour à tour ajoutées à la réglementation, entre autres grâce à des pilotes comme Jackie Stewart et Niki Lauda, qui refusaient que la moitié des pilotes aient une espérance de vie de seulement 5 ans dans la catégorie-reine du sport automobile.
À ce sujet, l’anecdote est intéressante. Jackie Stewart était en 1973 pilote de l’écurie Tyrrell, avec le Français François Cevert comme coéquipier. Le Grand Prix des États-Unis, à Watkins Glen, était son 99e Grand Prix à vie et le dernier de la saison. Il a d’ailleurs remporté le championnat en 1973. Il avait mentionné vouloir disputer 100 Grand Prix et prendre sa retraite par la suite.
Le Grand Prix des États-Unis aura malgré tout été son dernier, après que François Cevert, son dauphin et ami, a trouvé la mort à Watkins Glen dans des circonstances très similaires à celles de l’accident de Grosjean. Sans cellule de survie et surtout sans Halo, Cevert est passé entre deux composantes de la glissière de sécurité et a été décapité. Stewart a continué à militer activement pour la sécurité des pilotes… et n’a jamais disputé son 100e Grand Prix.
Voici donc la liste des plus importantes mesures de sécurité introduites en F1, en ordre chronologique.
1950: Présence des commissaires de piste
1952: Utilisation obligatoire du casque (en fibre de carbone depuis 2001)
1975: Combinaison de course résistante au feu
1981: Introduction du concept de cellule de survie (maintenant indestructible)
1993: Arrivée de la voiture de sécurité sur tous les circuits
1994: Mise en place d’une limite de vitesse dans les puits
1994: Amélioration des barrières, murets et zones de décélération
1996: Appuie-tête souples, pour mieux absorber les forces G
1997: Intégration d’un enregistreur de données (boîte noire)
1999: Ajout des mécanismes d’attaches de roues
2003: Utilisation du système HANS, pour retenir le cou des pilotes
2010: Interdiction du ravitaillement en course
2016: Caméra embarquée face au conducteur (400 images/seconde)
2018: Installation du Halo sur toutes les voitures
Bien sûr, après leur introduction, la majorité de ces mesures ont été bonifiées et améliorées. Par exemple, les combinaisons de courses (en Nomex) doivent résister à une chaleur de 800°C pendant au moins 11 secondes (Romain Grosjean a été dans le brasier pendant 18 secondes à Bahrein). Les zones de décélération et les murets de protection ont aussi connu de grandes avancées techniques, notamment avec les zones asphaltées et les murets de type TechPro.
Il est évident que sans plusieurs de ces mesures (casque, HANS, cellule de survie, combinaison anti-feu, Halo, etc.), Romain Grosjean ne serait plus de ce monde en ce moment. Et il doit en plus remercier le Ciel que son heure ne soit pas encore venue. Tous les pilotes peuvent tirer quelque chose de positif de cet accident en se disant que si la cellule de survie a permis à Grosjean de survivre à un tel impact, il y a de fortes chances qu’eux aussi, ils pourraient survivre à la majorité des accidents.
Tout de même, il y a de sérieuses questions à se poser quant au fait que la cellule de survie du pilote ait pu traverser les glissières de sécurité de cette façon, et aussi au fait que le réservoir d’essence ait pu être exposé de cette manière. Plusieurs se demandent si la solution ne passe par le remplacement de toutes les glissières de sécurité par des murets de béton, comme ceux qui ont été installés tout de suite après l’accident, avant que la course ne soit relancée.
Je m’inscris en faux contre cette proposition de remplacer les glissières par des murets de béton. Il ne faut oublier que les glissières sont conçues pour absorber une partie du choc tout en évitant que la voiture ne rebondisse vers la piste, pour redevenir une cible facile pour les autres voitures sur la piste. Une glissière bien faite et bien placée va permettre une collision moins dommageable et mieux «contrôlée». Si la voiture de Grosjean avait frappé un mur de béton sur le circuit de Sakhir, je parie ma chemise que le pilote français aurait subi un traumatisme crânien interne très important, dont il ne serait peut-être pas remis.
De plus, les murs de béton de type «Jersey», qu’on voit souvent sur nos chantiers routiers au Québec, ont aussi une base plus évasée qui pourrait, dans certaines circonstances très précises, faire voler les voitures qui y toucheraient. La solution idéale serait bien sûr des murets de protection en béton avec des blocs de type TechPro, pour absorber le choc avant le mur de béton. Ces murs sont utilisés sur beaucoup d’ovales ultra-rapides aux États-Unis, dans les séries NASCAR et Indy. On en utilise aussi en F1, aux endroits stratégiques.
Mais l’installation de cette protection sur les deux côtés de la piste, autour de tous les circuits F1 du monde, n’est non seulement une tâche impossible (pensons à Monaco, par exemple) mais aurait aussi un coût prohibitif. C’est pourquoi on opte pour une série de mesures variées, selon le niveau de risque et l’endroit visé autour du circuit.
Il ne faut pas oublier que l’endroit où Grosjean a frappé la barrière de sécurité est à l’intérieur du virage, là où une voiture n’est pas supposée sortir à haute vitesse. Si la sortie de piste avait eu lieu à l’extérieur du virage, les infrastructures habituelles d’absorption des impacts auraient fait leur travail correctement. Tout ça est donc un calcul de gestion de risque.
Il faut maintenant comprendre pourquoi la glissière de sécurité de Bahrein n’a pas résisté à l’impact. Ce sera la question la plus importante de l’enquête à venir. Et il faudra modifier la glissière (et toutes les autres glissières) pour éviter que ça ne se reproduise. Il faudra aussi trouver pourquoi le carburant est sorti du réservoir pour créer le premier incendie majeur en F1 depuis que la Benetton de Jos Verstappen (le père de l’autre!) ait pris en feu dans les puits en Allemagne en 1994.
Il faudra enfin se demander si la F1 n’a pas besoin d’une équipe permanente de commissaires, sur qui les bénévoles locaux pourront s’appuyer pour intervenir lors des courses si besoin est. Force est d’admettre que dans les pays où la culture du sport automobile n’est pas aussi ancrée qu’en Europe ou en Amérique du Nord, les commissaires peuvent parfois réagir de façon moins optimale (je pense entre autres au commissaire qui a traversé la piste pour aller éteindre le feu dans le moteur de Sergio Perez en fin de course à Bahrein).
Malgré tout, j’estime que la sécurité en F1 est à un niveau de 98%. Il ne fait aucun doute qu’après cet accident et l’enquête qui suivra, des mesures additionnelles seront mises en place, notamment pour mieux protéger le réservoir de carburant en cas d’impact majeur. On augmentera probablement le niveau à 99%. Pour le reste, c’est le destin qui fera le travail. Le risque zéro n’existe pas, surtout en course automobile. Et c’est peut-être, je dis bien peut-être, ce qui nous pousse à admirer et à suivre avec passion tous ces pilotes.
Je soutiens que les murs SAFER (Steel And Foam Energy Reduction auraient été nettement plus efficaces. Et ils sont facilement adaptables à des circuits aussi étroits que ceux de Monaco sans rendre le circuit plus étroit. C’est beau le «spectacle» mais il ne faut pas mettre la vie des pilotes en danger. Si ça devient trop étroit à certains endroits, les pilotes devront céder le passage!