La saison 2019 de F1 est maintenant terminée, après la course sur le circuit Yas Marina. Enfin, diront certains. Il est vrai qu’avec un nombre croissant de Grand Prix (il y en aura 22 l’année prochaine) et les essais hivernaux, on dirait que le temps des Fêtes est le seul moment de l’année où la F1 nous laisse un peu respirer. Le Grand Prix d’Abu Dhabi ne comportait aucun enjeu majeur, si ce n’est quelques positions au classement qui risquaient de changer, dont la troisième place au championnat. Au final, Verstappen a confirmé sa troisième place, devant Leclerc, deux pilotes qui vont assurément se retrouver au sommet à plusieurs reprises dans la prochaine décennie.
Mercedes pouvait déjà célébrer son championnat des constructeurs depuis quelques courses, son sixième consécutif, l’écurie ayant complètement dominé depuis l’apparition de la motorisation hybride. De retour en F1 depuis 10 ans, la marque à l’étoile a été drôlement efficace en misant sur la stabilité et une évolution constante. Seulement 4 pilotes ont été titulaires de ses volants depuis 2010 (Schumacher, Rosberg, Hamilton et Bottas), aucune autre écurie ne peut prétendre à autant de fidélité.
Sous contrat avec Mercedes depuis 2013, Hamilton a offert 5 championnats à son équipe en 7 ans, une performance remarquable. Ayant aussi enregistré un titre mondial à sa deuxième saison chez McLaren en 2008, il en totalise maintenant 6, à un titre seulement du record de Michael Schumacher, qu’à peu près tout le monde croyait inaccessible. Et puisque le règlement technique ne changera pratiquement pas en 2020, il y a de fortes chances pour qu’il puisse répéter l’exploit l’an prochain, à moins de problèmes inattendus. Profitons du début de la pause hivernale pour revenir rapidement sur cette époustouflante carrière du jeune prodige britannique et évaluer sa place dans l’Histoire de la F1.
Une pluie de trophées en karting
Comme à peu près tous les jeunes pilotes, Hamilton a débuté en karting dès l’âge de 8 ans et s’est mis à gagner des courses rapidement. C’est l’année suivante, alors qu’il a 9 ans, qu’il rencontre Ron Dennis, alors grand patron chez McLaren, dans un gala récompensant les meilleurs pilotes de Grande-Bretagne. Il lui dit alors qu’il aimerait bien piloter pour lui en F1 un jour. Trois ans plus tard, Ron Dennis faisait signer un contrat au jeune homme, l’assurant d’un soutien financier adéquat pour gravir les échelons de la course automobile. Jusqu’en 2001, Hamilton se concentre sur le karting. En 2002, il débute en Formule Renault britannique, remportant le trophée de la recrue de l’année, pour remporter le championnat l’année suivante.
En 2004 et 2005, il répète les mêmes exploits dans le championnat européen de Formule 3. En 2006, il fait le saut en Formule 2 mais cette fois, il n’attend pas pour gagner, remportant le championnat dès sa première saison, succédant ainsi à Nico Rosberg, qu’il retrouvera évidemment un peu plus tard en F1. Lewis Hamilton a donc toujours gagné partout où il a piloté, sans perdre de temps pour apprendre.
Les débuts en Formule 1
En 2007, Ron Dennis juge que Lewis est prêt pour la F1 et lui offre une place aux côtés de Fernando Alonso, champion du monde en 2005 et 2006 chez Renault. La cohabitation entre les deux pilotes n’est pas simple et Alonso vit une saison très difficile dans sa relation avec l’écurie et surtout Ron Dennis. Hamilton réussit quant à lui son entrée dans la catégorie-reine et monte sur le podium dès sa première course, un exploit que Jacques Villeneuve avait été le dernier à faire en 1996 en Australie. À Montréal, après avoir obtenu sa première pole position, il remporte aussi sa première course, au terme d’une course mouvementée, dont on se rappelle surtout pour l’accident spectaculaire de Kubica, qui avait complètement détruit sa BMW dans l’approche de l’épingle.
Avec une très bonne avance au championnat devant Alonso et Raikkonen avec deux courses à faire (Chine et Brésil), Hamilton fait une erreur fatale en entrant dans les puits en Chine et est victime de problèmes électroniques et d’une mauvaise stratégie de course au Brésil. Il termine finalement avec un seul point de retard sur Raikkonen, qui remporte son premier (et seul) championnat du monde à sa première saison avec Ferrari. Alonso termine avec le même nombre de points que Lewis mais ce dernier prend la 2e place à la faveur du nombre de deuxièmes places pendant la saison. Avant lui, seul Jacques Villeneuve avait été couronné vice-champion à sa première saison en F1.
Un premier titre et quelques saisons moins payantes
En 2008, tous les espoirs sont permis pour Hamilton. Mais Ferrari et BMW Sauber sont des adversaires redoutables pendant toute la saison. À la veille du Grand Prix du Brésil, Hamilton a une bonne avance devant Felipe Massa et n’a besoin que d’une 5e place si le Brésilien remporte sa course locale. C’est alors que l’impensable se produit. Une averse en fin de course vient brasser les cartes alors que la majorité des pilotes de tête s’arrêtent pour chausser des pneus de pluie. Timo Glock, pilote Toyota, décide de prendre le risque de rester en pneus pour chaussée sèche et apparaît au 4e rang. Après les arrêts, Hamilton revient en 5e place mais se fait dépasser par Vettel vers la fin de l’épreuve. Alors que Massa passe la ligne d’arrivée en première place sous les acclamations de la foule, il se croit champion du monde jusqu’à ce que Hamilton réussisse à dépasser un Timo Glock en perdition sur ses pneus secs dans les derniers virages du circuit, ceux qui mènent à la ligne d’arrivée. Alors qu’il avait perdu le championnat par un seul point en 2007, il est maintenant de l’autre coté de l’équation, remportant son premier titre par un seul point en 2008. Encore une fois, Jacques Villeneuve avait été le dernier à réussir cet exploit en 1997 et l’autre pilote ayant fait de même est un certain Juan Manuel Fangio, en 1951.
Les années suivantes, sans être extrêmement difficiles pour McLaren, seront celles de Brawn, de Red Bull et de Vettel. La McLaren n’est jamais vraiment déclassée mais le championnat reste quand même inaccessible et Hamilton termine aux 4e et 5e rangs pendant cinq saisons consécutives. Pour la dernière de ces cinq saisons, en 2012, il quitte Ron Dennis et l’écurie McLaren pour se joindre à l’écurie Mercedes, en remplacement de Michael Schumacher, qui a décidé de mettre un deuxième point final à sa prestigieuse carrière. Personne ne se doutait à ce moment que ce remplacement aurait une telle signification 7 ans plus tard.
La période des moteurs hybrides et une poignée de titres
De gros changements techniques secouent la F1 en 2014, alors que la motorisation hybride fait son apparition, obligeant toutes les équipes à repartir d’une planche à dessin complètement vide. Et c’est sans contredit ce que les ingénieurs de Mercedes ont fait de mieux depuis très longtemps. Malgré des efforts valables de Ferrari, de Red Bull et de Renault, aucune écurie n’a réussi à entacher la domination de Mercedes pendant cette période, alors que les six dernières saisons se sont soldées par des championnats constructeurs pour l’écurie allemande. Hamilton s’est donc retrouvé au bon endroit au bon moment, ce que certains pilotes n’ont pas toujours réussi à faire, Alonso étant le premier qui me vient en tête.
Il a donc pu utiliser son immense talent pour ajouter des dizaines de victoires et de pole positions à son palmarès, en plus de 5 championnats du monde. Seule la saison 2016 lui a échappé alors que Nico Rosberg a profité d’une série d’ennuis techniques et mécaniques sur la voiture de Hamilton en cours de saison pour s’emparer de son premier championnat du monde, laissant le titre de vice-champion à son coéquipier. Force est d’admettre cependant que, malgré tous les ennuis de Hamilton en 2016, il aura tout de même fallu à Rosberg toute son énergie et un dévouement sans relâche à son métier de pilote pour réussir à littéralement arracher le titre des mains du pilote britannique. Rosberg a tellement tout donné pour remporter ce championnat qu’il n’a mis que quelques heures après son sacre pour annoncer son retrait de la course automobile, admettant qu’il lui apparaissait très difficile de pouvoir répéter son exploit sans mettre en péril son équilibre mental, personnel et familial.
Un pilote d’exception
On le sait, Michael Schumacher est considéré par plusieurs comme le meilleur pilote de tous les temps en Formule 1. Évidemment, les époques et les contextes sont différents et des pilotes comme Fangio, Clark, Senna, Alonso, Prost peuvent aussi être considérés comme les meilleurs de leur discipline. Il faut maintenant ajouter Hamilton à cette liste, alors que plusieurs des records détenus par Schumacher sont déjà égalés ou battus par le pilote britannique et d’autres sont en voie de l’être. Et on parle autant de records de performance que de longévité. On peut aussi constater que Hamilton a gagné une plus grande proportion de ses courses que Schumacher, a obtenu un plus grand pourcentage de pole positions et a aussi terminé sur le podium dans plus de 60% de ses courses, alors que Schumacher n’a pu faire «mieux» que 50%.
https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_Formula_One_driver_records
Dans les deux cas, on peut affirmer que les deux pilotes ont pu compter sur une domination de leur voiture pendant une période de 5 ou 6 ans. La Ferrari a été dominante au début des années 2000 alors que la Mercedes l’a été pour à peu près la même durée à la fin de la décennie 2010. Les deux pilotes ont aussi piloté exclusivement pour le même motoriste, respectivement Ferrari et Mercedes (si on exclut le court retour de Schumacher chez Mercedes). C’est dans ce contexte qu’on peut comparer les deux pilotes. Il est très intéressant de survoler la page des records de la F1 sur Wikipedia pour mieux comprendre à quel point Hamilton est en train de se tailler une place importante dans l’histoire de la F1.
Pourtant, alors que Schumacher a toujours été considéré comme étant très calculateur, plutôt «froid», et ne faisant aucun compromis sur sa mise en forme et sa préparation mentale, on a à l’occasion mis en doute au cours de la carrière de Lewis son réel intérêt pour la F1, ses efforts de préparation et son niveau de motivation. Certains passages à vide et certaines frasques en-dehors de la piste ont parfois fait sourciller ses admirateurs (et ses détracteurs). Son utilisation constante des réseaux sociaux et ses relations amoureuses et amicales provenant généralement des milieux artistiques et mondains ont aussi été montrés du doigt à plusieurs reprises.
Et j’avoue bien humblement que j’ai longtemps été un de ses détracteurs, lui préférant de loin Fernando Alonso, qui me semblait plus «raisonnable» et mature, plein de talent et capable de faire des miracles avec des voitures moins performantes.
Mais chaque fois qu’on doutait de lui, Hamilton finissait par répondre par une performance solide au prochain Grand Prix, par une victoire inattendue ou par des dépassements épiques sur la piste. Ces dernières années, sa concentration et son implication totale pour l’atteinte de son objectif de gagner ont été applaudies et célébrées. Au volant de sa voiture, il est constamment à la recherche de la meilleure solution, de la meilleure stratégie et n’hésite pas à «brasser la cage» de son équipe pour la ramener à l’ordre ou pour forcer une meilleure réflexion dans une situation de course spécifique. Son intelligence de course est maintenant la meilleure du plateau, sans aucun doute.
Et c’est pour cette raison que je pense maintenant que Hamilton peut être considéré comme un pilote qui ravira, lorsqu’une nouvelle édition de l’Histoire de la F1 s’écrira dans 20 ou 30 ans, le titre non-officiel de meilleur pilote, devant Schumacher. Une légende n’est pas unique, il s’en construit une nouvelle de temps à autre. Hamilton en est une. Les prochaines années le confirmeront, que ce soit chez Mercedes ou chez Ferrari (!).