Je vous reviens aujourd’hui avec la 2e partie de la carrière de pilote de Réal Ledoux. (Première partie ici) Maintenant âgé de 31 ans, je dirais que mon père est pas mal rendu au sommet de son art. En cette année 1973, il va réaliser un rêve qu’il caressait depuis longtemps. Outre la naissance d’un merveilleux garçon 😊, un hasard incroyable mettra sur son chemin le propriétaire américain d’une voiture modifié, un dénommé Dan Hoffman.
Au début de cette année, Réal pilote un modifié portant le #21 (rien à voir avec l’équipe précédente de M. Colette) propriété de monsieur Gilles Raymond. Les succès ne sont pas vraiment au rendez-vous et un bris de moteur vient mettre une pause à sa saison. Un samedi soir où il est à l’Autodrome Drummond en spectateur, une voiture inconnue de tous arrive sur une modeste remorque ouverte et est placardée d’une pancarte « FOR SALE ». Elle est toute blanche, sans commanditaires et arbore le #123. L’homme élancé à l’allure nonchalante qui débarque de son pick-up Ford se dirige vers un officiel, Gaston Salvas, pour lui expliquer qu’il désire vendre sa voiture et qu’il aimerait un pilote pour la montrer sur la piste. Gaston n’a pas à réfléchir très longtemps : son ami Réal est la personne toute désignée pour la job!
Mon père avait toujours son sac de course avec lui, même quand il ne coursait pas, au cas où! Malgré la difficulté à communiquer dû à la barrière des langues, la soirée s’est vraiment bien déroulée, au grand plaisir et étonnement des 2 parties. Mon père croyait qu’une voiture sans pilote était sûrement une vidange et l’américain la même chose d’un pilote sans voiture! Ils ont fini top 5 dans les 2 qualifications ainsi que dans la finale. Après avoir jasé brièvement avec son épouse, Dan demanda à Réal s’il était intéressé à reprendre le volant le lendemain à St-Grégoire. Puis ce dimanche soir après la course, il lui offrit d’être le pilote du #123 pour le restant de la saison. Après avoir négocié son salaire de 25% de la bourse (et oui, il était payé en plus 😊), il accepta le contrat avec joie. Avec ce nouveau partenariat, son rêve de se mesurer aux meilleurs pilotes de sa discipline, les Américains, pourra sûrement se réaliser.
Ils remportent 2 finales cette année-là. L’année suivante, ils remportent 5 victoires dont une à Fonda et une à Canandaigua. Il devient le 1er québécois à remporter une finale sur terre battue aux États-Unis. À cette époque, les meilleurs pilotes de ces pistes étaient Lou Lazzaro, C.D. Coville et Jack Johnson. Pas des pieds de céleri! Cette année-là, Réal devient le 1er Canadien à qualifier sur la pole d’une épreuve de la série gros blocs DIRT à Fonda. Il roule dans les 3 premiers durant le ¾ de l’épreuve mais une crevaison met fin à sa course…
L’année 1975 fût ternie par une tragédie : alors qu’il soude une pièce sous le bolide #123, le feu prend dans le « pit » du garage alors que Dan Hoffman y est. Par le temps que les gars tassent la voiture et le sortent du trou, le dommage était fait : brûlures au 3e degré sur 75% de son corps. Dan est resté hospitalisé au Québec pendant plusieurs semaines à la suite d’une greffe de peau. Il va sans dire que la saison de courses était terminée et était très secondaire à la guérison de monsieur Hoffman. Le duo revient en force en 1976 en cumulant 5 victoires à Drummondville. Je dis duo car Dan était souvent seul à travailler sur la voiture. Il arrivait le vendredi soir à Sorel avec sa femme Linda et leurs 3 enfants et dormaient dans leur campeur au camping des Voltigeurs à Drummondville. Lorsqu’ils avaient des réparations majeures à effectuer, ils allaient au garage d’un monsieur bien connu de tous, Bruno Desrosiers de Drummondville. Dan était, et est toujours, un homme très calme mais efficace. Il n’avait pas besoin de courir. Même quand mon père ramenait l’auto endommagée, Dan prenait quelques minutes pour faire l’évaluation des dégâts et peu de temps après qu’il eut pris un outil dans ses mains, l’auto était prête à retourner à la guerre.
L’année 1977 fût malheureusement la dernière de cette belle association. Dan n’avait pas ou peu de commanditaires et avait une famille à nourrir. Il était mécanicien dans un concessionnaire Ford au Vermont et ne roulait pas sur l’or. Aussi, les frais médicaux découlant de la mésaventure de 1975 avaient hypothéqué le budget de la famille. Voyant qu’il peinait à mettre des sous pour avoir une voiture compétitive et ne voulant pas que les Hoffman se mettent dans la rue pour aller aux courses, mon père entrepris de convaincre Dan de se départir de son équipement pour redresser sa situation financière. Ils amassèrent 2 victoires au passage cette année-là.
Ces 5 années ont permis à Réal de gagner en confiance et d’améliorer ses habiletés à expliquer le comportement de la voiture. Devant s’appliquer plus qu’à l’habitude pour faire comprendre à son chef d’équipe la façon dont la voiture se comportait le forçait à y réfléchir plus longuement. Ce dernier, étant une excellente tête de mécanique tout en étant un homme perfectionniste et méticuleux, s’efforçait lui aussi à lui faire comprendre les effets des changements qu’il faisait sur la voiture.Après 5 années passées à jaser courses en anglais, il est devenu pratiquement bilingue.
Le seul objectif qu’il n’a pas réussi à atteindre est celui de se qualifier pour la mythique course de Syracuse. Il avait bien failli obtenir une place garantie à Fonda, mais n’a jamais pu se qualifier sur place. Dan m’a dit que ça avait passé très près une année alors qu’il menait la course de la dernière chance, mais un compétiteur a frappé une de ses roues pour mettre fin à leur rêve. Fait cocasse à propos de Syracuse : à sa 1re présence sur la piste, il arborait son masque de cuire habituel, qui le distinguait de la plupart des gars d’ici, tout en ayant le casque « open face », mais qui avait une petite palette au-dessus des yeux. Ça va très vite à Syracuse et sur les droits, le vent frappait le dessous de la palette assez pour vouloir lui arracher le casque de la tête! Il devait se pencher la tête vers le bas pour continuer! Il l’a bien sûr arrachée en débarquant de l’auto!
Autre belle chose qui en est ressortie, c’est l’amitié qui s’est créée entre les 2 familles. Nous nous sommes croisés plusieurs fois depuis cette époque mais surtout dans les dernières années. J’adorais regarder Réal et Dan jaser ensemble de choses et d’autres. Une amitié improbable entre 2 hommes de culture et langue différentes mais que la passion commune des courses a réunis.
Depuis la mort de mon père Réal, Dan est souvent venu nous rendre visite et il était présent lors de son intronisation au Mémorial de la terre battue. On s’appelle 3-4 fois par année et le son de sa voix est réconfortant… J’ai un peu l’impression de parler à mon père mais en anglais!
M’étant un peu éternisé sur cette époque, je devrai terminer mon récit dans un 3e et dernier article! Merci pour les bons commentaires suite au 1er, ça me touche toujours d’entendre les gens qui ont côtoyé mon père!