Le risque zéro n’existera jamais

Crédit photo : Charles Coates / Getty images

Lorsqu’on voit les pilotes de monoplace, particulièrement en Formule 1, monter dans leur voiture, rien ne laisse présager qu’il s’agira de leur dernière présence dans celle-ci. C’en est point différent avec les séries de soutien, qui sont en fait le tremplin des jeunes espoirs vers la F1. Dans la vision populaire, ce sont même des voitures plus sécuritaires puisque les vitesses sont inférieures. Malheureusement, le sort en a décidé autrement pour le jeune Anthoine Hubert, hier à Spa lors de la course longue en Formule 2.

Ayant été moi-même confronté à la mort il y a maintenant 2 mois (la mère de mes enfants est décédée dans son sommeil à mes côtés sans avertissement préalable), cet accident est venu remonter quelques émotions. Mais avant tout, parlons de l’accident en soi et comment les circonstances se sont toutes alignées pour amener ce malheureux résultat. Il s‘agit, incidemment, du premier accident mortel dans un événement sanctionné par la FIA depuis 2014 (Jules Bianchi en F1) et en F2/GP2/F3000 depuis 1995 (Marco Campos à Magny-Cours). Pour les fins d’identité, j’exclus l’accident de Henry Surtees en 2009, puisque c’était une autre entité de F2.

2e tour

Anthoine Hubert prend le départ en 13e position, après une qualification difficile, selon ses propres dires. Il connaît un départ correct, sans fioritures et avec prudence. Il remonte d’une position et passe le fil en 12e place. C’est alors que la cascade d’événements se produit. Giuliano Alesi, le fils de Jean, perd le contrôle de sa voiture au sommet du Raidillon alors qu’il roule 10e. Hubert le suit de près et doit prendre par la zone de dégagement, mais il glisse et frappe le mur de pneus de plein fouet. Il rebondit alors vers la piste de côté et Juan Manuel Correa ne peut l’éviter. Il emboutit la Arden au niveau du corps de Hubert, près de la tête. La Arden se sépare en deux au niveau du moteur et la Chayouz se retourne. Le Français subit des blessures qui lui seront fatales, tandis que l’Américain a les deux jambes fracturées en plus d’une blessure mineure à la colonne vertébrale.

Comment est-ce arrivé ?

À première vue, les fonds plats des voitures pleines d’essence et avec des pressions de pneus basses touchaient allègrement le sol dans la montée. Ce n’est pas sans rappeler les circonstances de l’accident de Senna en 1994, alors que la Williams semblait toucher au sol plus qu’à l’habitude. Il semblerait que ce soit la première cause du tête-à-queue de Giuliano Alesi.

Par la suite, Anthoine Hubert doit éviter la voiture de Dorian Boccolacci, qui ralentit subitement dans le haut de la montée pour lui-même éviter la Trident d’Alesi. Hubert le suivant de très près, il n’a d’autre choix que de prendre par la zone de dégagement, qui n’est pas très large, à l’extérieur. Avec l’angle auquel la Arden a frappé les pneus, elle revient donc aux abords de la piste. Jordan King le suivait à une certaine distance et peut ralentir sans encombre en restant en piste.

Derrière, Juan Manuel Correa prend la zone de dégagement en voyant les ralentissements devant lui. Probablement sans lever le pied, puisqu’il s’approchait de Hubert, qui était perpendiculaire à la piste, à une vitesse folle, ayant à peine le temps de réagir. Il a essayé tant bien que mal de freiner mais il était trop tard et il frappe le flanc de la Arden, elle-même encore en mouvement après le rebond. L’énergie brute de l’impact était déjà telle que pratiquement rien ne pouvait être fait sur place pour sauver Anthoine. Il sera déclaré mort quelques 90 minutes plus tard au centre médical de la piste.

La réflexion à mener par la suite vient surtout du fait que si un seul des petits événements susmentionnés n’était pas arrivé, rien de tout ça ne se serait passé. La théorie du fromage suisse, comme il se dit dans le domaine de l’aviation.

Peut-on éviter que ça se reproduise ?

La configuration d’une monoplace à moteur porteur est assez standard d’une série à l’autre. Même avec la présence du halo, un contact comme celui entre Correa et Hubert finira plus souvent qu’autrement en drame. Y aurait-il possibilité de faire comme sur quelques voitures en série WeatherTech IMSA et imposer une ‘’crash box’’ autour du pilote ? Il faudrait envisager des solutions malgré le défi technique que cela engendrerait.

Côté sportif, pourrait-on obliger les voitures à prendre le départ avec des pressions de pneu plus hautes ? Le risque de voir les fonds plats toucher le sol, situation qui déstabilise les voitures, en serait potentiellement diminué, au profit de la sécurité à plus long terme avec les pressions qui augmentent au fil des tours… Ce serait alors à Pirelli de créer des gommes à la structure plus résistante… Ce qui deviendrait ridicule à ce point.

Il reste à vérifier la télémétrie de la voiture de Correa pour tout confirmer, mais il semblerait qu’il n’ait pas levé le pied dans la voie de dégagement. Sans attribuer une responsabilité pour l’impact, je suis d’avis qu’il faudrait légiférer sur les passages dans les voies de dégagement asphaltées. C’est sûr que c’est le début de la course, les positions sont serrées et chacun veut garder son avantage. Mais forcer les pilotes à complètement lever le pied en entrant dans la zone de dégagement ne serait-il pas le premier pas dans la bonne direction vers un comportement général plus sain ?

On jase là, mais à mon humble avis, rien n’aurait pu être changé pour éviter la mort d’Anthoine Hubert. La seule chose provient de l’alignement des circonstances multiples qui, si on en enlève une seule (et je n’ai pas parlé de l’épaisseur de la barrière de pneus en lien avec le rebond), fait en sorte que l’accident ne se produit plus. Il ne s’agit que d’un accident bête et imprévisible, qui fera toujours partie du très faible risque inhérent au sport automobile de pointe.

En mémoire de Anthoine Hubert ; 22 septembre 1996 – 31 août 2019

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Archives de Mathieu Brière

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