Mélanie Villeneuve : la mission d’une vie

Crédit photo : François Richard

Mélanie Villeneuve : la mission d’une vie

(Québec, Québec) Je dois vous avouer quelque chose : avant de plonger dans cette conversation avec Mélanie Villeneuve, je ne mesurais pas vraiment l’ampleur du défi que représente faire un film sur une légende au Québec. Mais une fois que j’ai découvert les coulisses de cette production, je me suis dit qu’il fallait absolument que je vous en parle.

Quand on parle de parcours inspirants dans le monde du cinéma québécois, il y en a un qui mérite vraiment qu’on s’y attarde : celui de cette équipe qui tente de ramener Gilles Villeneuve sur grand écran, 43 ans après sa mort tragique à Zolder.

Un budget colossal… pour le Québec

Quinze millions de dollars. C’est le budget de ce film qui raconte l’histoire du pilote le plus célèbre que le Québec ait produit. « Pour le Québec, 15 millions, c’est énorme », confie Mélanie. Mais mettons les choses en perspective : en Europe, un « petit budget », c’est 20 millions d’euros, soit près de 30 millions canadiens. Aux États-Unis, Rush, le film qui racontait la rivalité entre Niki Lauda et James Hunt en 2013, disposait d’un budget d’environ 50 à 60 millions américains.

Avec 15 millions, il faut faire des choix. La boîte de production américaine qui a travaillé sur Rush, Ford v Ferrari a été engagée pour réaliser les scènes de course. Ensuite, la finition a été confiée à l’équipe québécoise de Marc Côté, un expert en effets visuels qui a longtemps collaboré avec Jean-Marc Vallée. « Il est très, très bon et c’est toute son équipe qui l’a fait », raconte Mélanie avec fierté.

Quand la production dérape

Mais comme dans toute grande course, il y a eu des obstacles. « À un moment donné, on a été face à des enjeux techniques et des enjeux budgétaires », explique Mélanie. Les coûts de tournage à l’extérieur de Montréal ont explosé. La production s’est arrêtée en octobre 2024. Un coup dur.

Imaginez : les comédiens ont signé en 2023, le tournage démarre en 2024, puis tout s’arrête soudainement. « Ça n’a pas été facile les 12 derniers mois », confie-t-elle.

Mais l’équipe refuse de perdre. Ils vont chercher « Entract Films », dirigé par Tim Ringuette, qui devient producteur exécutif. BRP entre en jeu et pas n’importe comment. « Les gens sont sortis de la retraite, ils ont travaillé les fins de semaine. Vraiment, ça a amené beaucoup d’amour d’avoir BRP. » Le géant de Valcourt a notamment contribué à la reconstruction de la légendaire « Twin Track » de Gilles, cette motoneige révolutionnaire avec suspension avant indépendante qui a changé le monde de la course de motoneiges.

Tourisme Montréal et le Parc Jean-Drapeau se joignent aussi à l’aventure. Le circuit Gilles-Villeneuve devient la pièce maîtresse du tournage. « C’est à la maison, ça ne coûte pas plus cher, ils ont été vraiment extraordinaires », souligne Mélanie.

L’art de filmer la vitesse

Comment filme-t-on une course automobile pour que le spectateur ait le cœur qui bat ? « Regarde les séries, puis regarde les scènes de course. Après, essaie de définir combien de courses as-tu vraiment vu »?, lance Mélanie avec un sourire complice.

Le truc ? Une séquence rapide d’images. Le casque qui bouge. Les rétroviseurs. Les pieds sur les pédales. Un pneu qui frôle un autre. Image après image, tellement vite que ton cœur accélère. « Tu te sens dans l’adrénaline. Mais à la limite, tu n’as pas vu grand-chose de course. C’est un cours de magie assez exceptionnel. »

Gilles, l’homme derrière la légende

Le film ne se contente pas de raconter les exploits en piste. Il plonge dans les débuts de Gilles, quand il avait 15 ans et qu’il bricolait tout ce qui avait un moteur. « Avant d’être un pilote de course, c’était un maniaque de tout ce qui avait un moteur », résume Mélanie.

Né en 1950, Gilles grandit au moment où les (muscle cars) américains explosent. Mais il vient d’un milieu modeste. « Jusqu’à ce qu’il se fasse un nom en 1978, on était assez pauvres. Tout l’argent qu’il faisait, il le remettait dans son sport. » C’était la motoneige qui finançait la famille, juste assez pour mettre de la nourriture sur la table.

« Pour lui, c’était un entrepreneur. Il mettait 100 % de tout ce qu’il avait : son temps, ses pensées, son focus, son attention, son argent. Il était obsédé », raconte sa fille.

Au fil de notre conversation, Mélanie s’ouvre davantage. Elle me raconte son père au-delà du scénario, au-delà des scènes de course. Les anecdotes fusent, intimes et révélatrices, peignant le portrait d’un homme véritablement habité par sa passion.

La passion des moteurs

Les anecdotes sur Gilles foisonnent. Il modifiait tout : les motoneiges, bien sûr, mais aussi les bateaux. Il avait acheté un bateau de vitesse, déjà équipé de gros moteurs. Pas assez rapide pour lui. Il est allé voir Jack Roush aux États-Unis pour faire refaire les moteurs. « Il bricolait dedans constamment, même si c’était déjà des moteurs modifiés. »

Sur la route ? Il se faisait arrêter constamment. Mais dans les années 1970, pas de système de points. « Ça te coûtait 10 $. Gilles disait ‘oui monsieur, ah oui, je le sais’, il payait son billet, puis il repartait. »

En Italie avec sa Ferrari, la police l’arrêtait, mais tout ce qu’elle voulait, c’était un autographe.

Les souvenirs d’enfance

Mélanie se souvient de sa mère, Joann, comme d’un « ange ». Gilles passait tout son temps dans le garage avec ses amis – Normand Savignac, Gaétan Giroux, André Caron. « La femme, elle est avec les enfants dans la maison, toute seule, pendant que le mari est dans le garage avec ses chums. »

Mélanie a des souvenirs très nets de son père. En mer, sur le bateau modifié, elle n’avait pas de plaisir. « J’avais 6-7 ans. Je suis toute petite et il n’y a rien de fun quand tu te fais juste taper sur les vagues. J’avais froid. »

Et quand le moteur pétait en plein milieu de l’océan ? « T’es stuck out there. T’attends là, parce que lui, il bricole sur son moteur. Deux heures plus tard, il a réparé. Toi, t’as pas de fun pendant ce temps-là. »

Le pilote légendaire

Les courses à Montréal sous la pluie. L’aileron qui se décroche en pleine course. Gilles qui continue à piloter sans rien voir, finissant troisième. Richard Kelly, le photographe, a capturé LA photo iconique : l’aileron en l’air, Gilles qui vient de braquer pour le décrocher volontairement avant qu’il ne le frappe au visage.

« Es-tu capable de conduire à cette vitesse-là pendant deux, trois tours sans rien voir ? » lance Mélanie. « Je pense que beaucoup de pilotes modernes feraient un saut s’ils devaient conduire les autos d’antan. »

Pas de power steering. Un nombre incroyable de changements de vitesse durant une course. Avec un levier manuel, pas au volant. Les pilotes sortaient avec leur combinaison déchirée au niveau des genoux, des bleus partout. « Les pieds étaient entre les roues. C’était complètement débile. »

La mémoire et la transmission

Quarante-trois ans après sa mort, Gilles Villeneuve reste une icône. Mais pour les jeunes ? « C’est loin, 40 ans. Il y en a beaucoup qui n’étaient pas nés. »

Mélanie raconte avoir rencontré une jeune fille de 8 ans, fan de Formule 1. « C’est qui ton pilote favori ? » « Lando Norris », répond la fillette. « J’aime aussi Charles Leclerc, mais Ferrari cette année, ça n’a pas été très bien. » Mélanie est impressionnée.

Puis elle lui demande : « Tu connais-tu Gilles Villeneuve ? » « Ah, je connais le circuit Gilles-Villeneuve. » C’est tout.

Mélanie lui lance alors un défi : « Va sur YouTube et va regarder 1979 Dijon. Commence avec ça. Peut-être que ça va faire wow, il y a un héros chez nous. ». Une recherche que je vous recommande fortement de faire vous aussi !

Le deuil qui ne finit jamais

Voir les scènes du film, c’est particulier. « Il faut que je m’habitue à voir que ce n’est pas Gilles, c’est Rémy Goulet. C’est mon père, mais ce n’est pas mon père. Il y a tout un enjeu intellectuel. »

Le deuil d’un parent, surtout quand tu as 9 ans et qu’il devient une légende mondiale, ça ne finit jamais vraiment. « Tu ne feras jamais de deuil. Là, tu te replonges dedans… »

Mais Mélanie a une mission. Elle veut reprendre le contrôle du narratif, faire le ménage dans tout ce qui se dit, transmettre la vraie histoire. « C’est mon but : bien m’implanter ici, sortir le message, puis reprendre le contrôle du message. »

Une présence remarquée à Place Ste-Foy

Une boutique éphémère a ouvert ses portes à Place Ste-Foy à Québec, près de l’aire centrale. Ouverte jusqu’au 11 janvier, elle offre une occasion unique de plonger dans l’univers de Gilles Villeneuve. On peut y admirer une réplique d’une Formule Atlantique utilisée dans le film, celle-là même qui a propulsé Gilles vers la gloire, ainsi que plusieurs autres artefacts précieux qui racontent son histoire. Et qui sait, peut-être même aurez-vous la chance d’échanger quelques mots avec Mélanie elle-même. Pour les passionnés de course automobile et ceux qui veulent transmettre cette flamme aux plus jeunes, c’est une opportunité à ne pas manquer.

En conclusion

D’un budget serré à une production interrompue, d’une équipe obstinée à des partenaires qui croient au projet, ce film sur Gilles Villeneuve porte en lui l’essence même de ce que le pilote incarnait : le refus d’abandonner, la passion brute, l’obsession de repousser les limites.

Discuter avec Mélanie a été un privilège rare. Au-delà des anecdotes fascinantes et des coulisses du film, j’ai été touché par la vulnérabilité avec laquelle elle parle de son père. Il y a quelque chose de profondément émouvant à voir une fille porter sur ses épaules le poids d’une légende tout en essayant de simplement honorer la mémoire de son papa. Entre les rires en racontant les frasques de Gilles et les silences chargés d’émotion quand elle évoque le deuil qui ne finit jamais, j’ai ressenti toute la complexité de sa mission. Mélanie ne fait pas ça pour la gloire – elle le fait parce que c’est ce qu’il reste à faire. Et ça, c’est puissant.

Le film sera â l’affiche en 2026, possiblement vers l’automne. Mélanie espère qu’il fera découvrir Gilles à une nouvelle génération. Qu’une petite fille de 8 ans qui ne connaît que le circuit comprendra enfin pourquoi ce nom résonne encore, 43 ans après Zolder.

Parce que Gilles Villeneuve n’était pas juste un pilote. C’était une force de la nature qui refusait de perdre. C’était le héros de tout un peuple !

Que les dieux bénissent les rois de la course !

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