Les marques de son accident sont tatouées à jamais sur le corps d’Érick Léveillée. Au premier regard, on lit son passé, mais son présent et son futur s’écrivent encore heureusement. Érick a perdu beaucoup, mais il a gagné un jour cette course contre la mort. Il accepte de partager son vécu inspirant avec générosité.
À l’Autodrome Drummond, le 22 juin 2002, le pilote Sportsman, âgé alors de 19 ans, demeure coincé dans sa voiture de course en flammes suite à une embardée. Son uniforme et ses gants le protègent pendant 2 minutes, mais il est extirpé du véhicule seulement après 7 minutes 30, ce qui lui vaut des brûlures à 70-80% de son corps.
Je vous invite maintenant à vous mettre dans sa peau. Enfilez votre casque, n’oubliez pas vos gants, ils seront précieux. Il est premier au championnat Sportsman ce qui signifie qu’il doit participer à la finale pour aller chercher ses points pour le championnat. En qualification, il est pris entre deux autos ce qui casse son différentiel arrière. L’équipe arrive à préparer la voiture juste à temps pour la finale. Il devra partir dernier étant donné son accident de qualif. Au septième tour, alors qu’il est 12ème, à la sortie de la courbe 4, son pneu avant gauche frappe le muret. L’essieu a cassé et un contact avec une autre voiture en capotage a arraché la « hose » à essence. Il aurait voulu fermer la valve pour empêcher l’essence de se répandre, mais l’accident l’a rendue dysfonctionnelle. Sa voiture est renversée du côté gauche, duquel on sort d’habitude. Le côté droit étant plus élevé c’est plus difficile d’en sortir. Érick se détache. Sa main gauche dont il se sert pour se défaire de sa position pour sortir est au sol dans l’essence et brûle.
Il avait l’espoir de survivre, car depuis 1986, il allait aux courses et malgré les accidents graves auxquels il avait assisté, tous les pilotes s’en sortaient avec de légères blessures. Cependant, dans les dernières secondes, juste avant d’être sorti par un ambulancier, il accepte sa mort avec sérénité. Je meurs, mais les gens se diront que c’est ce que j’aurais souhaité en accomplissant mon rêve d’enfant : en pilotant une voiture de course. Il est resté conscient jusqu’à l’hôpital. Son corps lui causait une douleur semblable à celle qu’on ressent lors d’une brûlure au deuxième degré… mais sur tout son corps comme trempé dans l’acide.
A l’hôpital, les intervenants découpent son uniforme et il s’offusque : « mon suit est neuf, il a juste trois semaines » ne réalisant pas l’ampleur de ses blessures. En parlant à Érick je constate qu’il s’agit davantage d’un traumatisme de foule que du sien.
Âmes sensibles s’abstenir ici, mais des témoins se rappellent ses cris, l’odeur de chair incinérée et l’effroi en voyant que les intervenants sur place n’arrivaient pas à éteindre les flammes et à trouver des solutions pour sortir le pilote. La foule impuissante croyait assister à sa mort. Un scénario que des spectateurs assidus depuis que la piste existait n’avaient jamais vu. Avec sagesse, il retient que son accident est une conjoncture d’événements défavorables et exceptionnels : courbe numéro 4 responsable de collisions avec le mur, le tuyau d’essence et la valve pour éteindre l’alimentation en essence atteints lors du capotage, essence sur du matériel brûlant (soit les freins ou le tuyau d’échappement), le toit ne s’est pas détaché lors du capotage, défaillance du matériel d’incendie, mauvaises décisions humaines. Cette histoire a déjà été rapportée maintes fois et je ne veux pas faire le procès des responsables qui ont déjà payé lors de la victoire de M. Léveillée, en cour, en 2010*.
Il passera plus d’un an hospitalisé, subira plusieurs opérations et greffes. Il est sorti officiellement de l’hôpital le 18 juin 2003 alors qu’il était en réadaptation à Montréal. selon sa sœur Vicky. Malgré qu’elle soit sa cadette, elle semble le protéger avec bienveillance. Elle me raconte « cinq mois après l’accident, suite à une infection, des caillots de sang lui ont monté au cerveau, ce qui lui a fait faire des convulsions interminables et l’ont jeté dans un coma durant 48h. Quand il s’est réveillé, son médecin Gilles lui a dit : « tu nous as fait peur mon Érick ! » il a répondu : « je suis habitué de faire peur au monde. » Cette complication lui a fait perdre 80% de la vision de son œil droit qui louche désormais. C’est aussi suite à ça qu’il a des problèmes de mémoire à court terme puisque son cerveau a déchiré de près de 2 cm. »
« Il a été à l’Hôpital de réadaptation Villa Medica à Montréal de décembre à juin. Je me souviens, au Jour de l’an, nous l’avons appelé, en soirée, alors que nous étions dans un party de famille et la dame qui avait répondu ne voulait pas transférer la ligne à sa chambre puisque l’heure des visites/appels était dépassée. Tu peux t’imaginer qu’elle s’est faite chicaner la pauvre madame ! On a finalement réussi à lui parler pour lui souhaiter la bonne année. Pauvre Érick, il était seul à l’hôpital. Juste à y repenser, ça me serre le cœur. » Ce sont les retombées de l’accident auxquelles on ne pense pas.
Le destin
Érick ne devait pas prendre le volant le 22 juin 2002 pour deux raisons que sa sœur et lui expliquent : premièrement, sa catégorie Sportsman n’était pas prévue à la programmation de la soirée initialement, puis les organisateurs s’étaient ravisés le mardi ou le mercredi et l’avaient ajoutée. Alain, le père d’Érick, et lui se sont dépêchés de préparer la voiture pour être prêts le samedi. Deuxièmement, le pilote en temps normal n’aurait pas pris part à la finale, puisque la présence des deux employés du garage de son père ont permis la réparation rapide de la voiture accidentée en qualif alors qu’un bris de différentiel persuade parfois les équipes de faire forfait.
Le fait de rester en vie lui a permis d’avoir un enfant, des neveux et nièces et d’être présents dans tous les grands et petits événements familiaux. Sa fille Jasmine, qui a 18 ans, pilotera-t-elle? Ils ont eu cette discussion. Malgré son désir de piloter, « il ne suffit pas d’être passionnée, d’y aller juste pour le fun, c’est beaucoup d’investissement en temps et en argent ». Ils en sont venus à la conclusion que ce ne sera pas pour tout de suite. Pour sa part, il a ré-esssayé de prendre le volant d’une voiture de course, mais ses pores de peau abîmées lui causaient des coups de chaleur, comme un rhume à chaque fois qu’il pilotait malheureusement.
Nous voyons encore Érick à toutes les pistes de course possibles de mai à novembre. Va-t-on le voir aussi souvent aux courses même si LAP performance, le distributeur de pièces que son père Alain possédait, a été vendu en novembre dernier ? Oui mais les deux-trois dernières années, il y est allé moins souvent. La marche est devenue difficile pour Érick qui s’est fait amputer le bas de la jambe droite l’an passé et attends une prothèse d’ici à l’été. Il est en fauteuil roulant et a une nouvelle van adaptée, dans laquelle il embarque sur le côté avec son fauteuil, ce qu’il trouve pratique. Il n’a jamais été traumatisé du volant et n’a jamais fait de cauchemar. Quand il rêve aux courses, il rivalise avec Steve Poirier qui était dans sa catégorie à l’époque -et quand il gagne ça doit être un beau rêve!-
Comment la sécurité aux courses a-t-elle été renforcée ?
- Extincteur dans toutes les voitures Sportsman (Modifiés et Prostock, on est impatient pour les Sport Compact), une technologie qui n’existait pas à l’époque.
- Courbe numéro 4 corrigée à l’Autodrome Drummond
- Junior Roy vendeur d’équipements à l’époque a dit à la famille Léveillée qu’il avait connu une grande popularité dans la vente d’équipements vestimentaires.
- Le côté droit de la voiture se déclipse pour faciliter la sortie du pilote .
Cet accident a changé le visage de la course sur terre battue pour le mieux.
Miroir
Ça a pris un bout de temps avant qu’Erick se regarde dans le miroir, ayant peur d’être complètement défiguré, mais non, il s’est dit « je me ressemble encore. »
Regardons-nous dans le miroir aujourd’hui, caressons cette chance d’être en vie.
Merci à Erick Leveille et Vicky Leveillee pour leur grande collaboration !
Références: (Journaux l’Étincelle, le Journal de Québec, TVA Nouvelles et Stock-car Québec.)